Parler du cancer aux enfants

De Annick Faniel
Illustration : CERE asbl

On veut parfois protéger les enfants en ne leur communiquant pas (tout de suite) le diagnostic. Cependant, les études montrent qu’il est préférable d’expliquer le cancer aux enfants. En effet, même si l’on n’en parle pas, les enfants sentent que la situation au sein de la famille change après le diagnostic rappelle la Fondation contre le cancer de Belgique. Les enfants qui sont informés rapidement et ouvertement de la gravité de la maladie et des conséquences du traitement, développent moins d’anxiété et de problèmes par la suite. Suite au cancer d’une membre du personnel du CERE, nous avons réfléchi à la façon d’en parler avec les enfants.

D’expérience professionnelle, nous savons qu’aborder certains sujets avec les enfants reste tabou. Parmi ceux-ci, nous pensons à la mort, la sexualité ou la maladie. Suite au cancer d’une membre du personnel du CERE, nous avons réfléchi à la façon d’en parler avec les enfants.

Partant de cette expérience personnelle, nous avons souhaité approfondir la question en l’alimentant de témoignages ou réflexions collectives issus de nos formations sur l’EVRAS (éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle), ainsi que de sources et ressources externes.

Cette analyse questionne également le cancer au regard de la parentalité : comment être parent quand on est malade ? Doit-on taire, cacher ? Ou, au contraire, doit-on en parler et comment ?

Enfin, elle questionne le regard de l’enfant sur la maladie du cancer, son rapport à la maladie, au regard de son développement notamment.

Mais revenons au début, à l’annonce de la maladie par l’oncologue. En tant que parent, rapidement, on se demande s’il faut ou non en parler à son ou ses enfants, et si oui : de quelle façon ?

Cette question renvoie à plusieurs difficultés et peurs.

D’une part, le cancer et les traitements peuvent amener questionnements et difficultés au niveau de la parentalité, que ce soit pour le parent atteint du cancer ou le parent partenaire. Ils et elles peuvent avoir peur des impacts de leur état et de la maladie sur le bien-être global de leur enfant. Il est vrai que le cancer d’une personne touche l’ensemble de la famille. Inévitablement, les proches, dans ou hors du foyer, mais donc aussi les enfants, sont touchés et concernés par la maladie de leur parent. Aussi, les parents peuvent-ils s’interroger quant à leur parentalité : comment rester présent·e, comment continuer à répondre aux besoins de mon enfant, comment faire avec la maladie au sein de la famille et dans le quotidien… ?

D’autre part, le cancer est un sujet tabou en soi, d’ailleurs encore lié à des croyances prégnantes, au vu de son histoire et de l’évolution des traitements. Le mot « cancer » fait peur d’abord aux adultes. Il est enveloppé de croyances, dont la plus importante est celle qui lie directement le cancer avec la mort de la personne : « nous allons mourir si nous avons un cancer ». Cette croyance semble provenir de deux réalités observées :
 

  • Il existe des représentations telles que « c’est une maladie de vieux » ou « les personnes qui en sont atteintes n’ont pas de chance », qui n’incitent pas la population à s’y intéresser. Cependant, on sait aujourd’hui qu’environ une personne sur trois aura un cancer et que des personnes de plus en plus jeunes développent un cancer. L’actrice belge Emilie Dequenne décédée à 43 ans, n’a pas hésité à en parler publiquement pour favoriser la prise de conscience. Ainsi existe-t-il une méconnaissance générale de cette maladie, des différents cancers et traitements associés, de l’évolution des recherches sur les cancers.
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  • Une autre observation, qui va souvent de pair avec la première, provient d’une croyance encore fortement ancrée : celle de la condamnation de la personne atteinte d’un cancer. Encore aujourd’hui, lorsque des parents de personnes atteintes d’un cancer apprennent la nouvelle, ils ne sont pas rares à penser que le ou la malade est condamnée. « À mon époque, et même dans les années 1980 par exemple, tout le monde savait que la personne était atteinte d’un cancer, sauf le malade lui-même, car il était condamné et on n’osait pas le lui dire ». Il était encore fréquent d’entendre que la médecine ne pouvait rien. « Tout le monde savait sauf elle, car nous savions qu’elle était condamnée… ». « On taisait la maladie, on profitait des derniers mois… ». Et ces réalités existent encore, mais elles sont plus nuancées étant donné le nombre de guérisons actuelles.

    Ainsi, en Belgique, le taux de survie à cinq ans pour le cancer du sein a atteint 92,6 % en 2022, et sept patients cancéreux sur dix sont vivants cinq ans après le diagnostic, contre un maximum de 60 % il y a dix ans1Données extraites de : « Nouveaux chiffres du cancer du sein en Belgique : 11 302 nouveaux diagnostics en 2022 ». Think Pink [en ligne]. 12 août 2024. [Consulté le 23 octobre 2025]. Disponible à l’adresse : https://www.think-pink.be/fr/actualite/article/id/4859/Nouveaux-chiffres-du-cancer-du-sein-en-Belgique-11-302-nouveaux-diagnostics-en-2022#:~:text=DES%20AVANC%C3%89ES%20ENCOURAGEANTES%20DANS%20LA,et%20les%20soins%20de%20soutien..

Enfin, il existe également une croyance qui conduit à l’évitement de parler aux enfants de certains sujets : « parce qu’ils ne peuvent pas comprendre » ou « que ça peut leur faire peur », ou encore « que ça ne les concerne pas ». Les faits médicaux ou de santé en font partie.

Cependant, nous avons vu que la maladie qui entre dans un foyer affecte toute la famille. En outre, les enfants sont connus comme étant « des éponges », c’est-à-dire sensibles à leur environnement, développant leurs sens en vue de mieux le comprendre et de l’appréhender. Dans un Café CERE2Les Cafés CERE sont des rencontres avec des parents ou des professionnel·les autour de différentes thématiques liées à l’enfance. https://www.cere-asbl.be/rendez-vous/?_type_rdv=rdv-cafe-cere sur la mort, la psychothérapeute pour enfants et accompagnatrice d’enfants en deuil, Delphine Bauloye expliquait l’impact sur l’équilibre affectif et psychique d’un enfant dans le cas où on lui cache un décès d’un parent ou d’un proche.

Et par rapport à la situation personnelle, dès que l’enfant ressent un changement dans notre attitude, comportement, il pose des questions. En outre, pouvons-nous lire sur le site Rose-Up3« Comment annoncer son cancer aux enfants ? ». Rose-Up [en ligne]. 24 janvier 2022. [Consulté le 23 octobre 2025]. Disponible à l’adresse :  https://www.rose-up.fr/magazine/comment-annoncer-cancer-enfants/ : quand le cancer débarque sans prévenir, vouloir protéger ses enfants est légitime. « Mais il faut leur dire la vérité, assure la psychanalyste Nicole Landry-Dattée, car dès le plus jeune âge ils sentent bien qu’il y a quelque chose d’anormal. » Au lieu de les épargner, le silence crée une angoisse encore plus grande : « L’enfant peut s’imaginer qu’il y a quelque chose de grave le concernant ou qu’il est responsable de ce qui arrive. Et s’il découvre qu’on lui a menti ou caché la vérité, la confiance est rompue avec les adultes », explique la psychanalyste4Rose-Up association, 2022. . « Si on parle aux enfants, ils savent qu’ils peuvent faire confiance et on va avancer ensemble en se souciant les uns des autres. Et surtout l’enfant a le sentiment qu’on ne le met pas à part5Extrait du webinaire « Comment parler du cancer aux enfants ? », animé par Nicole Landry-Dattée, psychanalyste. 28 avril 2021. [Consulté le 23 octobre 2025]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=9LF2uDIqc2c&t=2s ».

Et puis, la Convention Internationale des droits de l’enfant (CIDE), dont la Belgique est un des 196 pays à l’avoir ratifiée, stipule que l’enfant a le droit d’être informé par rapport aux questions qui le concernent.

Dès lors, comment lui parler du cancer ?

Le bon moment

« Lorsque j’ai appris que j’avais une tumeur au sein, je ne l’ai pas annoncé tout de suite à mes enfants. J’ai d’abord voulu savoir quel parcours de traitements serait envisagé, j’ai d’abord souhaité recevoir l’information et me préparer à en parler avec mes enfants, mais également avec mon entourage proche. J’ai ainsi décidé d’aborder le sujet avec mes petits de sept et dix ans quelques jours après l’annonce, une fois mieux informée moi-même et au préalable de tout changement physique ».

Pour d’autres parents, le bon moment se présentera tout à fait différemment, le bon moment étant celui du parent, d’un contexte, d’une atmosphère, de l’état émotionnel des enfants…

À partir de quel âge peut-on en parler ?

Dès sa naissance, l’être humain est fait de sensations qui lui permettent de ressentir toute forme de stress, d’émotions, de sentiments de la part de son entourage. Le bébé sent le cœur de sa maman ou de son papa qui bat, reçoit les odeurs de leur peau, la tension possible. Il est dès lors important de « mettre des mots » sur ces ressentis. Plus l’enfant est petit, plus il faut mettre des mots, explique Nicole Landry-Dattée. Communiquer à l’enfant de tout âge est donc rassurant pour lui.

L’importance de répondre aux questions et la question du vocabulaire

« A l’annonce, la première question qui a surgi a été ”est-ce que tu vas perdre tes cheveux ?”, ce qui a provoqué une crainte importante chez mon enfant de sept ans. Elle s’est mise à pleurer ».

Il s’agit d’une question fréquente car elle représente un signe extérieur important de la maladie qui peut générer de la peur, tant chez les enfants que chez les adultes. Elle constitue un exemple intéressant pour le développement de notre analyse.

« Est-ce que tu vas perdre tes cheveux ? »

Aujourd’hui encore, nombreux sont les traitements qui engendrent la perte des cheveux.

Les enfants étant attentif·ves aux signes extérieurs de la personne, ils ou elles peuvent immédiatement y songer et poser la question. En vue de mieux comprendre son environnement et le monde dans lequel il vit, l’enfant s’interroge et peut parfois poser des questions que l’adulte envisage comme étant « délicates », « sensibles » voire « dérangeantes ». Loin de lui la volonté de nuire ou de provoquer un malaise. Que ce soit en rapport à un décès, une maladie, un handicap ou tout autre situation qui le questionne, l’enfant, s’il est en confiance, peut questionner avec ses mots, son vocabulaire, parfois de façon abrupte.

Lui répondre clairement ne fera que le rassurer. En effet, lui répondre lui permet :

  • de se sentir entendu ;
  • de mieux comprendre une réalité ;
  • de se préparer à vivre, en l’occurrence ici la perte des cheveux de son parent ;
  • de pouvoir s’exprimer par rapport à cette réalité. Ainsi, par exemple, de pouvoir faire part de ses craintes, de son refus éventuel de voir son parent sans cheveux etc. Cela permet dès lors un accompagnement et un moment de vie à vivre ensemble, car la maladie est une affaire de famille, est une affaire collective.

Comme pour d’autres questions, il est important d’y répondre de manière concrète et en fonction de l’enfant et de son développement. À la suite de notre expérience et de l’écoute du podcast « Comment parler du cancer aux enfants ?6« Comment parler du cancer aux enfants ? » [podcast]. Les Pipelettes [en ligne]. Episode 5. 27 février 2024. [Consulté le 23 octobre 2025]. Disponible à l’adresse : https://open.spotify.com/episode/4FEHigYEbbYb2LwZAzkjSw?si=R1mVBSp5ShC0sFw7_0Gbrg&context=spotify%3Ashow%3A6xepHpsCdjRH6vQpGvhXFZ », il nous semble intéressant de rappeler quelques pistes pour aborder la question avec son ou ses enfants.

Outre le bon moment et le choix des mots, il est utile de rendre l’enfant acteur·rice de ce qui arrive dans la vie de son parent. Par exemple, lui proposer de « jouer au·à la coiffeur·se » en lui permettant de couper les cheveux avant qu’ils ne tombent peut, d’une part, dédramatiser la situation, d’autre part, lui offrir une occasion de participer pleinement à votre accompagnement dans la joie ou la sérénité. Lui proposer de choisir un bonnet, de donner son avis à propos d’une perruque sont d’autres occasions de favoriser sa participation et de lui offrir une approche de la situation par le jeu, outil premier de l’enfant pour comprendre les faits.

parler du cancer aux enfants - jouer

D’autres outils ou supports peuvent également être utilisés pour faciliter le dialogue et les échanges.
Ainsi peut-on citer les albums pour enfants, dont, par exemple, « Ma maman est une pirate7Karine Surugue (Auteur), Rémi Saillard (Illustrations), 2018. Ma maman est une pirate. Gautier-Langereau (Hachette),  Paris, 5 septembre 2018. », « Les stratégies de Kikou : Pour vaincre le cancer8Lysand Adlf (Auteur), Arno Adlf (Illustrations), 2019. Les stratégies de Kikou : Pour vaincre le cancer. Broché (Grands caractères). Allaire, 14 février 2019. » ou « Grand arbre est malade9Lecture de l’album :https://www.youtube.com/watch?v=wKxjymKm4I4 ».

 
parler du cancer aux enfants albums

 
Il existe également des vidéos expliquant la trajectoire de soins, montrant notamment les machines qui serviront aux traitements. Elles servent à « faire voir », à dédramatiser et démystifier les séances, tant pour les patient·es que pour l’entourage.

Plus concrètement encore, il est également souvent possible de visiter les endroits où auront lieu les soins, le personnel hospitalier peut ainsi prévoir une visite avec la famille.

Nombreux sont les hôpitaux qui proposent également un service d’écoute et d’accompagnement des enfants de parents malades du cancer. L’espace Luciole, service interne à l’hôpital Saint-Luc de Bruxelles, destiné aux enfants de trois à douze ans, en est un exemple10Espace Luciole: https://www.saintluc.be/sites/default/files/2020-09/commu-dsq-189-1-espace-luciole.pdf . Ils sont généralement composés de psychologues qui accueillent les enfants et peuvent répondre à leurs questions également et les rassurer. Des associations existent également, qui peuvent avoir une fonction d’explication et de soutien.

Outre ces possibilités, l’entourage proche (autre parent, grands-parents, oncles et tantes, etc.) ou moins proche de l’enfant peuvent former des appuis et des soutiens importants pour l’enfant et le parent. D’une part, parce que le cancer du sein touche une femme sur huit en Belgique en 2025, certaines personnes de l’environnement de l’enfant ont pu être concernées et sont aujourd’hui en rémission ou guéries. « Tu te rappelles Madame Véronique (nom fictif) ? Elle est venue en classe vous expliquer qu’elle avait un cancer. Elle a perdu ses cheveux, elle est partie de l’école, et maintenant elle est revenue. Tu peux aller lui parler si tu veux… ». Avertir l’instituteur·rice de l’enfant est souvent bénéfique à l’enfant mais aussi aux parents. Le corps enseignant est souvent à l’écoute. Cela permet à l’enfant, s’il se sent en confiance, de pouvoir en parler avec un·e autre adulte de confiance, de pouvoir être soutenu par son entourage.

Expliquer le plus concrètement possible, de façon palpable, pour que l’enfant comprenne clairement, avec ou sans humour, a souvent une fonction rassurante pour l’enfant. Expliquer en partant de ses mots, de son vocabulaire, est nécessaire pour que l’enfant puisse saisir l’explication. Si le parent a le souhait de prononcer le mot cancer, il est utile de rappeler que pour un enfant, ce mot n’est généralement pas encore tabou et ne provoque pas systématiquement de craintes. Plus l’enfant est en bas âge, plus sa question sera souvent concrète et précise, comme celle relative à la perte des cheveux par exemple. Aussi, elle appelle une réponse courte et concrète. L’enfant tend à poser des questions au fur et à mesure de sa prise de connaissance et de sa compréhension, ou de ce qu’il observe chez son parent ou dans son environnement. Enfin, impliquer l’enfant lui permet de se rassurer, de se sentir entendu et pris en compte dans cette « aventure collective ».

En conclusion, cette analyse rappelle l’importance de parler avec les enfants des sujets qui les concernent. Un parent atteint d’un cancer est indéniablement une question qui les concerne. S’il n’est pas toujours facile pour un parent malade d’en parler directement, l’analyse évoque plusieurs pistes de relais pour aborder la question du cancer avec l’enfant. Parfois, plusieurs façons sont employées pour dialoguer, expliquer, rassurer l’enfant. Plus l’enfant comprendra le vécu et la réalité de son parent malade, plus il sera rassuré et acteur dans le fonctionnement familial.

 

Notes de bas de page

Date de publication :

27/10/2025

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