Bébé cherche lien dans monde connecté

De Christine Acheroy
Illustration : Christine Acheroy

Pas d’écrans de 0 à 3 ans. Cette injonction apparue il y a plus de quinze ans est aujourd’hui plus que jamais diffusée. Et pourtant, en France par exemple, 30 % des bébés de 5 mois utiliseraient des écrans tactiles et ce pourcentage passerait à 90 % à 2 ans1https://lesprosdelapetiteenfance.fr/ecrans-chez-les-0-3-ans-la-qualite-du-contenu-et-linteraction-avec-lenfant-prime, ce qui témoigne de la difficulté de soustraire les tout-petits de cet univers.

Et pour cause : les écrans nomades, à la fois extraordinaires et redoutables, sont partout à tous les instants. Ils sont désormais un aspect central de notre culture. Ils s’immiscent et nous sont imposés d’ailleurs chaque jour un peu plus dans toutes les sphères de notre vie, publiques comme privées.

Pas d’écrans de 0 à 3 ans. Au-delà de cette injonction « hors sol », il nous semble essentiel de mettre en évidence des éléments qui puissent soutenir la réflexion individuelle et collective autour de nos pratiques numériques ancrées dans nos vies concrètes, du point de vue du développement de l’enfant2Le CERE est très impliqué dans ces questions depuis déjà quelques années à travers la publication d’analyses et d’une étude, à travers une recherche ainsi que la réalisation d’un outil ludique et l’offre d’une formation. Plus d’infos : https://www.cere-asbl.be/thematiques/?_thematique=technologies-numeriques.

Parmi les nombreux aspects touchés par les usages numériques, nous abordons, dans ces lignes, la question du lien. Plus précisément, à partir d’un objet particulier – le smartphone –, nous questionnons comment les pratiques numériques des partenaires du tout-petit3Dans cette analyse, dans un souci de lisibilité, nous utilisons les mots « tout-petit », « bébé », « nouveau-né », « enfant » comme génériques incluant le masculin et le féminin. peuvent affecter la construction du lien, dont celui d’attachement chez le bébé4Cette question se situe dans le contexte plus global de la réflexion menée au CERE en lien avec la théorie de l’attachement. Voir à cet égard : ACHEROY, Christine, 2024. « Un bébé est né : et si on parlait d’attachement ? ». Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl) [en ligne]. Août 2024. [Consulté le 30 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/un-bebe-est-ne-et-si-on-parlait-dattachement/ ACHEROY, Christine, FANIEL, Annick, 2024. « Construire un attachement sécure : une perspective sociétale ». Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl) [en ligne]. Août 2024. [Consulté le 30 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/construire-un-attachement-secure-une-perspective-societale/.

 

Un désir de liens…

Le nouveau-né arrive au monde et c’est l’humain qu’il cherche en premier lieu : un visage l’attire plus que tout autre objet. Là commence les relations du tout-petit avec ses partenaires. Elles se tisseront dans le temps à travers des interactions quotidiennes.

Autour du bébé gravitent différentes personnes. À deux mois, l’enfant les différencie et commence à réagir de manière singulière avec chacune d’elles. Chacune des relations interpersonnelles acquiert ainsi très vite une dimension unique car elle procède d’un travail d’ajustement réciproque entre le tout-petit et son·sa partenaire. Cela demande, chez ce·tte dernier·ère, une attention profonde qui peut être perturbée par les écrans « nomades » de différentes manières.

 

Un objet qui est là, entre le bébé et son·sa partenaire

Smartphone allumé… intimité limitée

Le smartphone, par le seul fait d’être allumé, induit une posture de « vigilance latente permanente envers cet objet qui notifie de manière imprévisible et qui peut sonner à tout instant5DEVOUCHE, 2019. Cité dans DEVOUCHE, Emmanuel, MORANGE-MAJOUX, Françoise, LEBOUC, Maëlle, 2023. « Écran et technoférence chez le bébé de 6 à 12 mois ». Contraste [en ligne]. 2023/1 (N° 57), p. 280. [Consulté le 14 juin 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-contraste-2023-1-page-261.htm ». La vigilance étant « cet état de présence à ce qui peut se produire mais dont on n’a pas le contenu6DEPRAZ, 2014. Cité par COLFEDY, François, 2022. « Le téléphone mobile, outil et objet de notre vigilance ». Techniques & Culture [en ligne], Varia. 05 octobre 2022, p. 4. [Consulté le 16 août 2024]. Disponible à l’adresse : http://journals.openedition.org/tc/17625 ».

Il s’agit donc d’une attention ouverte, réceptive à ce qui peut advenir à tout moment, dans notre champ relationnel, intime, amical, professionnel ou d’intérêt partagé7COLFEDY, 2022, p. 2. . L’espace intime de la relation du·de la partenaire avec le tout-petit entrerait ainsi en concurrence avec l’espace du dehors. Ce qui aurait une incidence sur l’attention de l’adulte envers le tout-petit, donnant lieu à quelque chose de l’ordre du « ”être avec” mais pas tout à fait8COLFEDY, 2022, p. 18.».

Ainsi, « le détournement des sens ne s’opère pas seulement lorsque l’individu prend son smartphone en main pour en consulter l’écran ou appeler un proche9COLFEDY, 2022, p. 10. ».

Smartphone qui notifie… attention entravée

Le smartphone nous invite sans cesse à l’interruption, à la dispersion dans notre activité – en ce qui nous concerne, la présence et l’attention au tout-petit. À cet égard, nous voulons souligner qu’il s’agit bien d’une activité, d’ailleurs fondamentale.

Car comme l’ont pointé les théoriciennes du care10Le Care fait référence au soin et de manière plus générale à « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre ”monde” de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». Plus d’info sur ce paradigme : TRONTO, Joan C., 2008. « Du care ». Revue du MAUSS [en ligne].  2008 / 2 (n° 32), p.243-265. https://shs.cairn.info/article/RDM_032_0243?lang=fr  et le rappellent régulièrement les professionnel·les que nous rencontrons, dans notre monde axé sur le matériel – ce qui est visible et comptable – l’attention est généralement peu considérée, puisqu’invisible et non quantifiable. Elle est assimilée au « naturel », à quelque chose qui va de soi, voire qui n’est pas réellement nécessaire.

Il y a donc une réelle difficulté à accepter la valeur et le statut de « l’attention » comme « action » ou « travail ».  Par conséquent, quelle gravité pourrions-nous voir dans le fait d’interrompre une activité dont nous ne reconnaissons pas la valeur ?

On parle de « technoférences » pour décrire les moments où un appareil technologique interrompt et/ou entrave la communication et les interactions entre personnes conduisant au paradoxe de la présence-absence : l’adulte est physiquement présent mais distrait11DURIS, Olivier, 2022. Quand l’écran « fait écran » à la relation parent-enfant. Yapaka.be, Temps d’arrêt/Lecture [en ligne]. Octobre 2022, p. 26. [Consulté le 18 juillet 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.yapaka.be/livre/livre-quand-lecran-fait-ecran-a-la-relation-parent-enfant . Le contact avec l’enfant, par le regard, le corps ou la voix est suspendu. L’attention de l’adulte envers le tout-petit est altérée. Il·elle est soudain indisponible.

Dans cette situation, comme dans toute expérience de discontinuité, le bébé va être perturbé et faire très tôt des efforts pour retrouver le lien.  Différentes recherches ont en effet montré la concision de la « fenêtre temporelle » acceptable pour les bébés dans les échanges avec leurs partenaires.

Par exemple, à quatre mois, ils peuvent se décourager quand le délai entre leur comportement initial et le comportement en réponse dépasse les trois secondes12JUNIER, Héloïse, 2022. Les émotions à l’aube de la vie. Expressions de l’émotion en sein de l’échange parent-nouveau-né. Ed. Dunod, Paris, p. 102. D’autres expériences ont mis en évidence que dans des échanges vocaux, le décrochage aurait lieu après 1,5 seconde, voire 1 seconde..  Par conséquent, le bébé va chercher à restaurer le lien, en accrochant son regard, par exemple – car ce n’est que quand le bébé est sécurisé qu’il peut l’utiliser pour communiquer – ou en s’accrochant à une sensation13CICCONE, Albert, 2008. « Les expériences de discontinuité chez le bébé et leurs devenirs ». Actes du colloque Loczy, novembre 2008. Fédération des Initiatives Locales pour l’Enfance. FILE asbl. [en ligne]. [Consulté le 18 juillet 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.fileasbl.be/membres/wp-content/uploads/2019/08/ACTES-COLLOQUE-LOCZY-20-nov.2008.pdf

En outre, l’adulte momentanément indisponible et donc inattentif au bébé perd des indices pour interpréter les appels ou les signaux émis par l’enfant14PINEL JACQUEMIN, Stéphanie, 2018. « 1969 -2018 : quoi de neuf sur la théorie de l’attachement ? ». Institut d’anthropologie clinique. Youtube [en ligne]. [Consulté le 15 mai 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=JNjobbqAqbg. En même temps, sa capacité de réactivité diminue tout comme celle d’ajustement à l’enfant.

L’ajustement du·de la partenaire au bébé est sa capacité à adapter ses gestes et ses actions en fonction de l’attitude du tout-petit. Et plus encore, à lui répondre même en l’absence de demande formulée, c’est-à-dire, à formuler cette demande à la place du bébé et à la satisfaire15JUNIER, 2022, p. 99..

Le·la partenaire indisponible risque donc de ne pas être capable d’offrir une régulation adéquate ou suffisante, adaptée à l’état émotionnel de l’enfant, ce qui peut induire chez le tout-petit une situation de confusion, voire de détresse16DURIS, 2022, p. 26..

Quand ce type de situation se reproduit fréquemment et que les interruptions sont longues, la reprise de l’interaction enfant/adulte semblerait d’ailleurs ne pas être aisée17DURIS, 2022, p. 26.. Une recherche a montré que le·la partenaire aurait plus de difficultés à rediriger son attention sur les signaux envoyés par l’enfant et à reprendre un échange de qualité lorsque l’interaction a été coupée par un smartphone plutôt que par d’autres distractions de la vie quotidienne18LEMISH et al., 2020. Selon GILLIOZ, Estelle, LEJEUNE, Fleur, GENTAZ, Édouard, 2022. « Les effets des écrans sur le développement psychologique des très jeunes enfants : une revue critique des recherches récentes ». In : Effet des « écrans » sur le développement des enfants. A.N.A.E. N° 178. Mai 2022, p. 9..

Ces situations peuvent sembler banales au regard de l’adulte. Pourtant ce n’est que lorsque l’ajustement de l’adulte à l’enfant est régulier que le tout-petit peut développer des attentes à l’égard des réponses de son·sa partenaire en réaction à ses propres comportements et acquérir ainsi le sentiment d’un certain contrôle sur son environnement19JUNIER, 2022, p. 99.. Et ce ressenti constitue une condition nécessaire pour développer un attachement sécure20Sur la question de l’attachement, voir : ACHEROY, 2024..

Smartphone consulté… attention entravée, partenaires désengagés

Par ailleurs, la technoférence a parfois lieu sans coupure relationnelle soudaine. Mais ce type de situation ne semble pas non plus anodin au regard de la relation partenaire/bébé.

L’absence psychique du·de la partenaire affecte à la fois le bébé et la relation. D’une part, parce que de la même manière que décrit précédemment, elle réduit la capacité de réactivité et d’ajustement du·de la partenaire aux états internes du tout-petit. Mais d’autre part, elle questionne le besoin humain fondamental chez le bébé : celui du regard de l’autre.

Car « dès la naissance, le tout-petit fait la différence entre deux situations : celle d’être l’objet de l’attention d’autrui et celle de ne pas avoir attiré l’attention sur lui21GRATIER, Maya, FILIPPA, Manuela, APTER, Gisèle, 2018. « Le bébé chef d’orchestre : d’une attention à l’autre ». In : Bébé attentif cherche adulte(s) attentionné(s). Dugnat, Michel (dir.) Erès, Toulouse, p. 50. ».  Il cherche activement et aurait d’ailleurs déjà des attentes concernant le comportement d’autrui : l’attention qu’il cherche chez son·sa partenaire est une attention dynamique, expressive et multimodale22GRATIER, FILIPPA, APTER, 2018, p. 51..

Que ressent-il alors lorsque régulièrement, l’attention de son partenaire se détourne de lui pour se porter sur un écran ? Comment pourra-t-il développer le sentiment d’exister et d’avoir un certain contrôle sur son environnement, qui, comme nous l’avons vu, est nécessaire à un attachement sécure ?

Par ailleurs, « l’attention au bébé induit une attention chez le bébé23GRATIER, FILIPPA, APTER, 2018, p. 51. ». Elle déclenche donc un processus interactionnel où l’engagement du tout-petit est motivé par l’attention et l’expression de son·sa partenaire. Inversement, l’inattention de son·sa partenaire pourrait alors induire un retrait de l’engagement relationnel du bébé.

On a pu observer, par exemple, qu’une mère qui allaite stimule moins son enfant lorsqu’elle est devant un écran. L’enfant pourrait donc être moins animé à téter. Mais ce moment est aussi privilégié dans la construction du lien24GILLIOZ et al., 2022, p. 9. Voir également à ce propos : Action innocence Suisse, 2022. « Grandir avec les écrans » [vidéo]. [Consulté le 6 septembre 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=epxKEg22z7c : échanges de regards, de touchers et de formes conversationnelles nourrissent certainement l’enfant autant que le lait.

 

Un objet que le bébé regarde…

Quand le tout-petit est exposé aux écrans, c’est souvent via l’exposition de son parent25DEVOUCHE, MORANGE-MAJOUX, LEBOUC, 2023, p. 261.. Dans notre monde hyperconnecté, le bébé apprend que l’objet smartphone est une extension de son·sa partenaire, « un objet central qu’il garde près de lui presque tout le temps, un objet auquel il parle et qui accapare une partie de son temps et de son attention26DEVOUCHE, 2023, p. 280. » : il est ainsi appelé à devenir connecté lui-même, à partager cette culture de l’écran-partout-tout-de-suite.

Lorsqu’un adulte regarde un écran près de lui, le tout-petit sera tenté de faire pareil, par imitation – l’imitation étant un mode d’action privilégié des bébés, qui permet des apprentissages27TISSERON, Serge. Cité par DURIS, 2022, p. 27.. Mais c’est aussi parce qu’il est attiré par les mouvements colorés.

Notons, comme nous l’avons dit plus haut, que le tout-petit est d’abord attiré par les visages, et plus spécifiquement, par ce qui est le plus brillant, le plus mobile et le plus coloré du visage : les yeux. Mais si les yeux de son·sa partenaire ne sont pas accessibles, il risque alors de diriger son attention vers l’écran, qui servira en même temps de refuge face à un ressenti d’abandon28DURIS, 2022, p. 27..

Mais que comprend-il des images qu’il voit ? Peu, sans doute, car l’immaturité de son système nerveux l’empêcherait de faire le lien entre ce qu’il voit en deux dimensions sur l‘écran et son aspect réel, en trois dimensions29DEVOUCHE, 2023, p. 277.. Les images qui défilent sur l’écran ne seraient alors pour lui que sources de sensations dépourvues de sens.

Le·la partenaire placerait ainsi l’enfant dans une posture d’attirance hypnotique vers l’écran qui, à force de récurrence, deviendrait pour lui indispensable. Le pouvoir addictif des écrans s’explique d’un point de vue neurologique par un effet sur le circuit de la récompense et grâce à la succession très rapide d’images qui captent l’oeil et dont il est difficile de se détourner30BALLAND, Morgane, BIZEUL, Delphine, GUILLIET, Carole, BOSSIÈRE, Marie-Claude, 2018. « Les effets des écrans sur les tout-petits : syndrome ou symptôme ? Hypothèses sociétales et psychomotrice ». In : Enfances & Psy [en ligne]. 2018/4, n° 80, p.159. [Consulté le 29 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://shs.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2018-4-page-157?lang=fr.

 

Entre images et sons, comment faire lien ?

Le nouveau-né arrive au monde avec des habilités sensorielles, perceptives et mnésiques en cours de développement et déjà fonctionnelles depuis le troisième trimestre de sa vie in utero31PROVASI, Joëlle, GRANIER-DEFERRE, Carolyn, 2019. « Apprentissages et mémoire au cours de la période périnatale ». In : Le développement du bébé de la vie fœtale à la marche. Devouche, E, Provasi, J (dir.). Elsevier Masson SAS, p. 57.. C’est par elles qu’il a donc déjà, in utero, appris à connaitre un peu le monde. C’est par elles qu’il peut à présent reconnaitre, appréhender le monde et très vite prévoir certaines choses.

Le toucher, l’olfaction, le goût, l’audition, la vue sont donc les « outils » qui permettent au tout-petit d’entrer en lien avec ses proches et son environnement. Les interactions du bébé avec son partenaire constituent des moments riches de stimulus sensoriels temporellement synchronisés.  Tous les sens sont souvent concernés32On parle de redondance intersensorielle quand « la même information est simultanément disponible et synchronisée temporellement entre au moins deux systèmes sensoriels ». PROVASI, GRANIER-DEFERRE, 2019, p. 56..

Par exemple, le tout-petit regarde le visage qui s’est rapproché de lui33La capacité de voir les détails est peu développée chez le nouveau-né, de 10 à 30 fois plus faible que chez l’adulte. WITT, Arnaud, GENTAZ, Édouard, 2019. « Les compétences visuelles précoces, les déficiences visuelles et les suppléances ». In : Le développement du bébé : de la vie fœtale à la marche. (Devouche, Emmanuel, Provasi, Joëlle (dir.). Elsevier Masson, Issy-les-Moulineaux, p. 287., il écoute les sons des mots qui lui sont adressés, il ressent le contact des mains qui le touchent et le mouvement qui le berce en même temps qu’il sent l’odeur de sa mère : toutes les stimulations sensorielles sont synchronisées dans une interaction vécue avec tendresse qui permet à l’enfant de trouver l’apaisement. La contenance est à la fois physique et émotionnelle34BORGHINI, Ayala, 2015. « Approche sensorimotrice et théorie de l’attachement : au cœur du dialogue tonique ». Enfance [en ligne]. 2015 / 4 (N° 4), p. 510. [Consulté le 29 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://shs.cairn.info/article/ENF1_154_0501?lang=fr.

La redondance sensorielle semblerait essentielle dans le développement précoce : elle pourrait contribuer à l’émergence et au développement des motivations sociales chez le tout-petit35PROVASI, GRANIER-DEFERRE, 2019, p. 56.. En ce sens, elle contribuerait à la construction du lien entre l’enfant et ses proches, et donc à l’attachement.

Jusqu’à quel point la connexion récurrente aux écrans entrave-t-elle la capacité d’engagement des partenaires dans des interactions sensoriellement riches avec l’enfant ? Dans quelle mesure cette hyperconnexion entrave-t-elle le bon développement de toutes les co-modalités de perceptions chez le tout-petit ?

Les recherches disponibles à l’heure actuelle indiquent que la stimulation exclusive par le son et l’image pourrait l’empêcher36BALLAND, BIZEUL, GUILLIET et al., 2018, p. 166.. L’enfant très connecté aurait une perception sensorielle du monde plus restreinte car « les écrans saturent les canaux sensoriels, via le visuel et le sonore […]37BALLAND, BIZEUL, GUILLIET et al., 2018, p. 162.».

Par ailleurs, ils couperaient « tout contact avec des sensations proprioceptives plus subtiles comme la faim, la mastication, la déglutition, le goût, le sentiment de satiété, l’adaptation posturale38BALLAND, BIZEUL, GUILLIET et al., 2018, p. 162. » …  Le lien du tout-petit avec lui-même pourrait en être affecté tout comme le lien avec son partenaire.

 

Le bébé, puis le smartphone

Les numériques au regard de l’enfance constituent un espace de recherches encore peu développé et donc marqué par de nombreuses inconnues. Néanmoins, les recherches actuelles dans ce domaine révèlent chaque jour davantage les impacts des technoférences sur le développement du jeune enfant.

Dans cette analyse, nous avons mis en évidence comment le lien peut être fragilisé et probablement teinter le processus d’attachement en construction chez le tout-petit. Mais d’autres aspects du développement ne sont pas épargnés : neurologique, physique…

Cela incite les expert·es à dire que ce phénomène de technoférences représente un enjeu particulièrement critique sur la période des 1 000 premiers jours de l’enfant (la grossesse et les deux premières années de vie).

Ainsi, la Commission française constituée pour « évaluer les enjeux attachés à l’exposition des enfants aux écrans et formuler des recommandations39« Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu » [Rapport] [en ligne]. Avril 2024, France, p. 6. [Consulté le 9 septembre 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/16/fbec6abe9d9cc1bff3043d87b9f7951e62779b09.pdf » appelle-t-elle, dans son rapport Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu (avril 2024), à « une grande vigilance, a minima jusqu’aux 4 ans de l’enfant, dans l’usage qui est fait des outils en leur présence par les parents mais aussi plus généralement par les professionnels en lien avec la petite enfance […] a fortiori aux moments clés de la relation (repas, soins, jeux…)40« Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu », p. 37. ».

 

Notes de bas de page
  • 1
    https://lesprosdelapetiteenfance.fr/ecrans-chez-les-0-3-ans-la-qualite-du-contenu-et-linteraction-avec-lenfant-prime
  • 2
    Le CERE est très impliqué dans ces questions depuis déjà quelques années à travers la publication d’analyses et d’une étude, à travers une recherche ainsi que la réalisation d’un outil ludique et l’offre d’une formation. Plus d’infos : https://www.cere-asbl.be/thematiques/?_thematique=technologies-numeriques
  • 3
    Dans cette analyse, dans un souci de lisibilité, nous utilisons les mots « tout-petit », « bébé », « nouveau-né », « enfant » comme génériques incluant le masculin et le féminin.
  • 4
    Cette question se situe dans le contexte plus global de la réflexion menée au CERE en lien avec la théorie de l’attachement. Voir à cet égard : ACHEROY, Christine, 2024. « Un bébé est né : et si on parlait d’attachement ? ». Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl) [en ligne]. Août 2024. [Consulté le 30 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/un-bebe-est-ne-et-si-on-parlait-dattachement/ ACHEROY, Christine, FANIEL, Annick, 2024. « Construire un attachement sécure : une perspective sociétale ». Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl) [en ligne]. Août 2024. [Consulté le 30 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/construire-un-attachement-secure-une-perspective-societale/
  • 5
    DEVOUCHE, 2019. Cité dans DEVOUCHE, Emmanuel, MORANGE-MAJOUX, Françoise, LEBOUC, Maëlle, 2023. « Écran et technoférence chez le bébé de 6 à 12 mois ». Contraste [en ligne]. 2023/1 (N° 57), p. 280. [Consulté le 14 juin 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.cairn.info/revue-contraste-2023-1-page-261.htm
  • 6
    DEPRAZ, 2014. Cité par COLFEDY, François, 2022. « Le téléphone mobile, outil et objet de notre vigilance ». Techniques & Culture [en ligne], Varia. 05 octobre 2022, p. 4. [Consulté le 16 août 2024]. Disponible à l’adresse : http://journals.openedition.org/tc/17625
  • 7
    COLFEDY, 2022, p. 2.
  • 8
    COLFEDY, 2022, p. 18.
  • 9
    COLFEDY, 2022, p. 10.
  • 10
    Le Care fait référence au soin et de manière plus générale à « une activité générique qui comprend tout ce que nous faisons pour maintenir, perpétuer et réparer notre ”monde” de sorte que nous puissions y vivre aussi bien que possible ». Plus d’info sur ce paradigme : TRONTO, Joan C., 2008. « Du care ». Revue du MAUSS [en ligne].  2008 / 2 (n° 32), p.243-265. https://shs.cairn.info/article/RDM_032_0243?lang=fr
  • 11
    DURIS, Olivier, 2022. Quand l’écran « fait écran » à la relation parent-enfant. Yapaka.be, Temps d’arrêt/Lecture [en ligne]. Octobre 2022, p. 26. [Consulté le 18 juillet 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.yapaka.be/livre/livre-quand-lecran-fait-ecran-a-la-relation-parent-enfant
  • 12
    JUNIER, Héloïse, 2022. Les émotions à l’aube de la vie. Expressions de l’émotion en sein de l’échange parent-nouveau-né. Ed. Dunod, Paris, p. 102. D’autres expériences ont mis en évidence que dans des échanges vocaux, le décrochage aurait lieu après 1,5 seconde, voire 1 seconde.
  • 13
    CICCONE, Albert, 2008. « Les expériences de discontinuité chez le bébé et leurs devenirs ». Actes du colloque Loczy, novembre 2008. Fédération des Initiatives Locales pour l’Enfance. FILE asbl. [en ligne]. [Consulté le 18 juillet 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.fileasbl.be/membres/wp-content/uploads/2019/08/ACTES-COLLOQUE-LOCZY-20-nov.2008.pdf
  • 14
    PINEL JACQUEMIN, Stéphanie, 2018. « 1969 -2018 : quoi de neuf sur la théorie de l’attachement ? ». Institut d’anthropologie clinique. Youtube [en ligne]. [Consulté le 15 mai 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=JNjobbqAqbg
  • 15
    JUNIER, 2022, p. 99.
  • 16
    DURIS, 2022, p. 26.
  • 17
    DURIS, 2022, p. 26.
  • 18
    LEMISH et al., 2020. Selon GILLIOZ, Estelle, LEJEUNE, Fleur, GENTAZ, Édouard, 2022. « Les effets des écrans sur le développement psychologique des très jeunes enfants : une revue critique des recherches récentes ». In : Effet des « écrans » sur le développement des enfants. A.N.A.E. N° 178. Mai 2022, p. 9.
  • 19
    JUNIER, 2022, p. 99.
  • 20
    Sur la question de l’attachement, voir : ACHEROY, 2024.
  • 21
    GRATIER, Maya, FILIPPA, Manuela, APTER, Gisèle, 2018. « Le bébé chef d’orchestre : d’une attention à l’autre ». In : Bébé attentif cherche adulte(s) attentionné(s). Dugnat, Michel (dir.) Erès, Toulouse, p. 50.
  • 22
    GRATIER, FILIPPA, APTER, 2018, p. 51.
  • 23
    GRATIER, FILIPPA, APTER, 2018, p. 51.
  • 24
    GILLIOZ et al., 2022, p. 9. Voir également à ce propos : Action innocence Suisse, 2022. « Grandir avec les écrans » [vidéo]. [Consulté le 6 septembre 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.youtube.com/watch?v=epxKEg22z7c
  • 25
    DEVOUCHE, MORANGE-MAJOUX, LEBOUC, 2023, p. 261.
  • 26
    DEVOUCHE, 2023, p. 280.
  • 27
    TISSERON, Serge. Cité par DURIS, 2022, p. 27.
  • 28
    DURIS, 2022, p. 27.
  • 29
    DEVOUCHE, 2023, p. 277.
  • 30
    BALLAND, Morgane, BIZEUL, Delphine, GUILLIET, Carole, BOSSIÈRE, Marie-Claude, 2018. « Les effets des écrans sur les tout-petits : syndrome ou symptôme ? Hypothèses sociétales et psychomotrice ». In : Enfances & Psy [en ligne]. 2018/4, n° 80, p.159. [Consulté le 29 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://shs.cairn.info/revue-enfances-et-psy-2018-4-page-157?lang=fr.
  • 31
    PROVASI, Joëlle, GRANIER-DEFERRE, Carolyn, 2019. « Apprentissages et mémoire au cours de la période périnatale ». In : Le développement du bébé de la vie fœtale à la marche. Devouche, E, Provasi, J (dir.). Elsevier Masson SAS, p. 57.
  • 32
    On parle de redondance intersensorielle quand « la même information est simultanément disponible et synchronisée temporellement entre au moins deux systèmes sensoriels ». PROVASI, GRANIER-DEFERRE, 2019, p. 56.
  • 33
    La capacité de voir les détails est peu développée chez le nouveau-né, de 10 à 30 fois plus faible que chez l’adulte. WITT, Arnaud, GENTAZ, Édouard, 2019. « Les compétences visuelles précoces, les déficiences visuelles et les suppléances ». In : Le développement du bébé : de la vie fœtale à la marche. (Devouche, Emmanuel, Provasi, Joëlle (dir.). Elsevier Masson, Issy-les-Moulineaux, p. 287.
  • 34
    BORGHINI, Ayala, 2015. « Approche sensorimotrice et théorie de l’attachement : au cœur du dialogue tonique ». Enfance [en ligne]. 2015 / 4 (N° 4), p. 510. [Consulté le 29 août 2024]. Disponible à l’adresse : https://shs.cairn.info/article/ENF1_154_0501?lang=fr.
  • 35
    PROVASI, GRANIER-DEFERRE, 2019, p. 56.
  • 36
    BALLAND, BIZEUL, GUILLIET et al., 2018, p. 166.
  • 37
    BALLAND, BIZEUL, GUILLIET et al., 2018, p. 162.
  • 38
    BALLAND, BIZEUL, GUILLIET et al., 2018, p. 162.
  • 39
    « Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu » [Rapport] [en ligne]. Avril 2024, France, p. 6. [Consulté le 9 septembre 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/16/fbec6abe9d9cc1bff3043d87b9f7951e62779b09.pdf
  • 40
    « Enfants et écrans. À la recherche du temps perdu », p. 37.

Date de publication :

11/09/2024

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