Dans une analyse précédente1VANDER LINDEN, Reine, 2025. « La prévention périnatale : pourquoi être attentif dès la grossesse, ». Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl) [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/prevention-perinatale-pourquoi-etre-attentif-des-la-grossesse/, nous avons montré les multiples enjeux de la prévention périnatale.
Nous questionnons, au travers des lignes qui suivent, le développement, les réalités de terrain et les défis des pratiques dans le champ de cette prévention.
La période anténatale : un impensé de la prévention ? Bref regard sur le passé
Pourquoi un intérêt tardif pour la prévention anténatale ?
Il est intéressant de questionner les raisons d’un intérêt tardif pour les opportunités préventives en période de grossesse.
Si beaucoup de recherches et de dispositifs existent sur l’après naissance, avec un ciblage sur les conditions de développement de l’enfant (et souvent le repérage des failles côté parents, amenant des difficultés dans ce développement), il a fallu du temps pour qu’une préoccupation positive soit portée sur les parents et ce qui se passe pour eux dans l’avant naissance.
Les raisons sont multiples. D’une part, les études sur le vécu des femmes en cours de grossesse et plus singulièrement sur la dépression prénatale sont venues « à rebrousse-poil » pourrait-on dire, lorsqu’on s’est intéressé à la dépression du post-partum et des effets sur la qualité du maternage et la création du lien mère /bébé.
D’autre part, le découpage institutionnel du paysage belge n’a pas favorisé une attention qui dépassait le souci médical pour la période anténatale. Les programmes de prévention au sens large, relèvent des communautés et commencent dans le champ de l’Aide à la Jeunesse, au moment de l’arrivée au monde de l’enfant. Avant cela, l’accompagnement de la grossesse est une période dédiée aux structures hospitalières et donc à l’instance fédérale.
L’émergence de dispositifs de prévention anténatale
Dans les années 1980, alors que la problématique de la Maltraitance des enfants sortait du silence, la Fédération Wallonie-Bruxelles lançait un programme de recherche-action, via l’ONE2L’ONE est l’Office de la naissance et de l’enfance : https://www.one.be/public/, dont un volet concernait la grossesse et l’accompagnement précoce de celle-ci.
Puis pour diverses raisons cette attention particulière à cette période de vie est relativement tombée dans l’oubli (années 90), en dehors des quelques équipes de travailleuses médico-sociales qui œuvraient au sein-même des structures hospitalières qui les accueillaient.
En 2016, l’ONE met en place dans la région aux structures médicales très dispersées du Luxembourg, un dispositif appelé « plateforme périnatale » qui conventionne les gynécologues privés qui le souhaitent, de sorte que lorsqu’ils perçoivent des vulnérabilités importantes chez leurs patientes ils puissent les orienter sans frais vers les travailleuses médico-sociales (aujourd’hui PEPS) ; leurs consultations sont dès lors rémunérées par l’ONE et un suivi plus spécifique est assuré par des PEPS spécialement dédiées à ces prises en charge.
Ce système se généralise sur les différentes entités géographiques dessinées par l’institution.
L’ONE tente ainsi ces dernières années de construire un accompagnement à la fois plus spécialisé (via les plateformes prénatales (voir infra), et cherche à initier des liens entre parents en devenir et les professionnels de sa structure, mais dans un enchainement discontinu puisque les équipes prénatales sont différentes de celles qui agissent en postnatal.
Une autre difficulté de ce dispositif réside dans des délégations parfois désengagées de la part de certains gynécologues. Les vulnérabilités des patientes entrant dès lors dans une définition strictement psycho-sociale, laissant parfois de côté l’ancrage médical nécessaire, souhaité et attendu par toutes les femmes dans un processus de grossesse.
Il est bien différent de considérer par exemple une femme qui use de substances nocives comme « une femme enceinte ayant un problème de toxicomanie » ou de parler d’une « toxicomane enceinte ».
Du côté fédéral, un programme initié en 2018 via l’INAMI3L’INAMI est l’Institut national d’assurance maladie-invalidité : https://www.inami.fgov.be/fr/actualites/hopitaux-recherches-a-partir-de-2026-il-y-aura-13-centres-de-prise-en-charge-des-violences-sexuelles#:~:text=H%C3%B4pitaux%20recherch%C3%A9s%20:%20%C3%A0%20partir%20de,charge%20des%20Violences%20Sexuelles%20%7C%20INAMI voit le jour dans la région Bruxelles capitale : « Born in Brussel » ; programme à visée préventive mais dont l’esprit ne rejoint pas les sensibilités côté francophone, car axé essentiellement sur une logique de détection (Pr. Katrien Beeckman et la VUB ont développé à cette fin un instrument de screening sur base scientifique) suivie d’orientation vers des structures « spécialisées » dans des problématiques compartimentées (violence conjugales, précarité sociale, immigration…). Le projet sera pour un temps mis au placard pour être ensuite élargi sous le vocable « Born in Belgium ».
« Born in Belgium professionnals4https://borninbelgiumpro.be/fr/ » se présente sur son site comme un projet de l’INAMI qui propose un outil numérique développé par et pour les professionnels qui accompagnent les femmes enceintes.
Cet outil est une plateforme partagée en ligne qui centralise les informations sur la situation psychosociale de la femme enceinte et les met à disposition de ses intervenants du secteur (para)médical et psychosocial, ceci dans le plein respect de la législation sur la vie privée (RGPD).
Pendant la grossesse un repérage des vulnérabilités psychosociales est effectué et en fonction des résultats, les professionnels de l’aide et du soin peuvent proposer des soins aux femmes enceintes de manière proactive.

La prévention périnatale en FWB aujourd’hui et ses défis
La mise en œuvre de dispositifs de prévention en périnatalité n’est pas exempte de difficultés, comme nous l’avons déjà évoqué. Parmi celles qui restent encore à résoudre, nous résumons :
Une information du parcours anté/postnatal et une continuité des soins déficientes
Depuis 2016, le retour précoce à domicile après le passage en maternité, imposée sans préparation par l’ancienne ministre de la santé, Maggie De Bloc, a au moins permis une prise de conscience du parcours discontinu des femmes entre l’avant et l’après naissance.
Via les soins à domiciles assurés par les sages-femmes qui pour ce faire sortaient de l’hôpital, une meilleure continuité s’est précisée. Néanmoins, aujourd’hui encore, le parcours anté/post natal n’est pas tracé clairement en Fédération Wallonie-Bruxelles et bien des femmes ne sont pas informées de la possibilité d’établir un contact anténatal avec les sages-femmes qui assureront leur accompagnement postnatal.
L’ONE tente de pallier ce vide laissant aux PEPS l’initiative de trouver les moyens de rentrer en « contact prénatal » avec les futurs parents. Les consultations de suivi de grossesse assurées par l’ONE n’étant pas obligatoires, l’accès aux femmes reste donc limité à la population qui fréquente les consultations ONE.
Ce « contact » doit offrir une information sur les services offerts par l’ONE et permettre l’instauration d’un lien entre un « partenaire enfant/parent » et les futurs parents afin de motiver ces derniers à adhérer à l’offre de suivi en consultation des nourrissons.
Cette initiative n’est hélas pas toujours suffisamment reliée aux professionnels de la structure hospitalière où la naissance aura lieu. Si ce système semble satisfaisant pour un certain nombre de familles, il est insuffisant dans sa personnalisation et dans sa continuité pour les familles les plus vulnérables.
En effet ce seront toujours des professionnels différents qui prendront le relais lors des divers moments (suivi prénatal, naissance, suivi postnatal et suivi du nourrisson) que traverseront les mères et pères dans l’aventure parentale.
Un travail parfois plus centré sur des aspects psycho-sociaux que sur le suivi médical de la grossesse
Depuis longtemps déjà, ça et là des dispositifs issus d’initiatives singulières ont vu le jour tentant de répondre à des particularismes locaux (grande pauvreté, grossesses adolescentes, isolement géographique…).
Chaque équipe a sa propre histoire. Certaines sont nées d’une absence de réponse adaptée au sein des structures hospitalières (demandeuses), pour les populations les plus fragiles. D’autres ont émergé il y bien plus longtemps, au moment où l’intérêt pour le bébé devenait plus scientifique.
Le souci de départ cible soit la protection du bébé, être fragile et vulnérable, soit la sécurité des mères, celles qui devront répondre aux besoins des bébés. Agir sur les deux plans en même temps passe inévitablement par l’attention à ce que vivent et traversent les mamans de ces bébés.
Mais le travail médical des équipes en périnatalité a parfois évolué, au cours du temps, vers un travail essentiellement psycho-social.
Echoline, par exemple, a été initiée par deux sages-femmes qui accrochaient les familles les plus vulnérables et résistantes aux soins à partir « du médical et des soucis de santé ».
Ces sages-femmes se sont rapidement associées à des psychologues, au vu des problématiques rencontrées. Hélas, durant un temps, l’énergie a été davantage concentrée sur le travail psy (devenant ainsi une structure peu différente des services de santé mentale).
Les deux sages-femmes initiatrices du projet sont parties, désolées de la tournure des choses. L’asbl a, au fil du temps, a redéfini ses lignes d’action, de nouvelles sages-femmes sont venues renforcer la définition médicale et un regard particulier de psychomotricienne est portée au développement moteur du bébé .
D’autres équipes non reliées à l’hôpital ont vécu un peu les mêmes travers (« Accueil parents/bébé » dans le Luxembourg par exemple), reciblant au fil du temps leurs modalités d’intervention5Notons qu’ »Aquarelle« , rattachée à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, reste davantage sur sa ligne médicale, avec des services aux futurs parents adaptés à leurs vulnérabilités (éducation à la santé, préparation à la naissance, aide psy, soutien social, vestiaire et matériel de puériculture…)..
Évaluer ces dispositifs pourrait aider à pallier à ces difficultés. Néanmoins, cela reste un défi car de très nombreux facteurs entrent en jeu : projet des institutions, qualités soutenantes des professionnels, degré de vulnérabilité des familles, particularités propres au bébé ; chacun de ces facteurs pouvant être lui-même déployé en de multiples variables.
Une absence de soutien envers les professionnel·les qui entourent la grossesse
Dans un métier à haut risque tel que l’obstétrique, la confrontation à l’angoisse des femmes, aux accidents périnataux – à la mort parfois –, la solitude, les pressions financières et de rentabilité, pèsent lourd.
Peu de temps est dédié à la formation autre que strictement médicale. Les techniques évoluant vite, la nécessité de rester à la pointe s’impose, écrasant d’autres besoins chez les soignants.
Aucun espace ne leur est proposé pour débriefer ce que leurs pratiques leurs font vivre.
On peut alors comprendre le repli sur le plan exclusivement médical, le désengagement lorsque les cadences des consultations ne permettent pas de déployer les craintes et peurs que ressentent les futurs parents et de trouver les orientations vers les aides adéquates.
Un état d’esprit collaboratif à acquérir
Les expériences de « tricotage » de liens interprofessionnels autour des besoins des parents ont des effets sur les liaisons psychiques dont témoignent positivement ces derniers. La cohérence autour d’eux, l’organisation lisible des statuts et fonctions, l’établissement de liens de confiance différenciés et fonctionnels sont indispensables pour faire émerger des ressources, malgré les fragilités installées parfois depuis longtemps.
En effet, les futurs parents passent « entre les mains » de diverses disciplines (et ce davantage lorsqu’un problème de santé se profile) qui, si elles ne sont que juxtaposées, peuvent créer de la discontinuité et donc de l’insécurité dans l’expérience des usagers.
C’est pourquoi, ce qui importe avant tout, c’est l’état d’esprit des acteurs de prévention.
Travailler ensemble, dans le respect des limites de chacun et dans la complémentarité qu’offre les disciplines de chacun, représente une valeur de soutien, tant pour les équipes soignantes que pour les bénéficiaires.
Mais la transdisciplinarité ne s’improvise pas même si la pluridisciplinarité est le lot de toute prise en charge dans les pratiques actuelles.
Reconnaitre ses limites, faire place à l’autre, respecter et rendre lisible le rôle de chacun, se transmettre l’information utile aux intérêts des parents ainsi qu’à la fonction des différents intervenants… demande un travail de réflexion et d’ajustement permanent dans et entre les équipes.
Pour conclure
L’intérêt relativement récent pour la période anténatale ouvre grandes les portes d’une prévention plus efficiente et certainement bien nécessaire. Car, comme dit précédemment, la grossesse représente un moment de formidables réaménagements psychiques qui, s’ils sont accompagnés avec finesse et humanité, peuvent redéfinir positivement des trajectoires de vie6Voir notre analyse précédente : VANDER LINDEN, 2025..
Il y a trois ou quatre ans l’ONE percevant l’absence de dispositifs de soutien périnatal dans sa structure, a décidé de subsidier huit équipes et de les regrouper sous l’appellation SAP (services d’accompagnement périnatal)7Coordonnées en annexe..
Mais, dans le climat actuel stressant et difficile de la parentalité, la prévention périnatale n’est plus une option, elle devient une nécessité. Ces dispositifs devraient donc être renforcés et systématisés.
Par ailleurs, le travail de prévention périnatal étant sujet à de multiples défis, il est également fondamental que les pouvoirs publics soutiennent les équipes de manière à ce qu’elles puissent trouver les ressources pour y faire face.
Quant à la société, une prise de conscience des enjeux et des bénéfices de l’accompagnement périnatal pourrait sans doute appuyer des engagements politiques à cet égard.
En ce sens, visibiliser ce travail de prévention périnatal devient aujourd’hui une urgence.
Annexe.
Structures actuelles de soutien périnatal en FWB
| BRUXELLES | Aquarelle
(CHU Saint-Pierre) |
322, Rue Haute – 1000 Bruxelles | 02/535.47.13 |
| Ulysse asbl | 52, Rue de l’Ermitage – 1050 Bruxelles | 02/533.06.70 | |
| BERTRIX | Bébé Accueil | 5, Rue de la Jonction – 6880 Bertrix | 061/22.34.32 |
| HAINAUT | Accordages
(Mons) |
12, Rue des Belneux – 7000 Mons | 0493/39.46.41 |
| Chrysalide
(La Louvière) |
1/29, Avenue des Croix de Feu – 7100 La Louvière | 064/22.41.41 | |
| Echoline | 65, Avenue du Centenaire – 6061 Montignies-S-Sambre | 071/48.76.25 | |
| LIÈGE | Apalem Seconde Peau | 56, Rue des Eburons – 4000 Liège | 04/225.61.87 |
| Tabane asbl
(Parents en Exil) |
510, Rue Saint Léonard – 4000 Liège | 04/228.14.40 |
Notes de bas de page
- 1VANDER LINDEN, Reine, 2025. « La prévention périnatale : pourquoi être attentif dès la grossesse, ». Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl) [en ligne]. Disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/prevention-perinatale-pourquoi-etre-attentif-des-la-grossesse/
- 2L’ONE est l’Office de la naissance et de l’enfance : https://www.one.be/public/
- 3L’INAMI est l’Institut national d’assurance maladie-invalidité : https://www.inami.fgov.be/fr/actualites/hopitaux-recherches-a-partir-de-2026-il-y-aura-13-centres-de-prise-en-charge-des-violences-sexuelles#:~:text=H%C3%B4pitaux%20recherch%C3%A9s%20:%20%C3%A0%20partir%20de,charge%20des%20Violences%20Sexuelles%20%7C%20INAMI
- 4https://borninbelgiumpro.be/fr/
- 5Notons qu’ »Aquarelle« , rattachée à l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles, reste davantage sur sa ligne médicale, avec des services aux futurs parents adaptés à leurs vulnérabilités (éducation à la santé, préparation à la naissance, aide psy, soutien social, vestiaire et matériel de puériculture…).
- 6Voir notre analyse précédente : VANDER LINDEN, 2025.
- 7Coordonnées en annexe.




