L’actualité ne cesse de nous le montrer : les questions liées au climat, à l’environnement, doivent être entendues et prises en considération de manière urgente.
Or, les enfants, les jeunes sont-ils·elles entendu·es ? Les accompagne-t-on à vivre dans un monde fluctuant ?
Notre première analyse pose la question de la rupture, de la nécessité d’un changement politique indispensable face à cette réalité. Il s’agit de montrer l’importance de quitter l’inertie sociale actuelle, de questionner notre posture d’adulte citoyen·ne, pour mieux écouter les enfants et les jeunes et renforcer leur adaptabilité pour vivre un monde qui lui-même change.
Les rapports, les constats des scientifiques, climatologues, météorologues, ne cessent d’alerter, de mettre en garde, d’inviter à agir, mais pas de n’importe quelle façon. Il s’agit notamment de développer la coopération ou l’entraide horizontale1SERVIGNE, Pablo, CHAPELLE, Gauthier, 2022. L’effondrement (et après) expliqué à nos enfants et à nos parents. Paris, éditions du Seuil.. Il s’agit aussi d’être informé.e et d’informer, d’expliquer, de mieux comprendre les enjeux du climat.
En matière environnementale, les jeunes ne sont pas entendu.es
Il y a quelques années, nous avons observé, soutenu les marches pour le climat des jeunes, en avons développé une réflexion et rédigé une analyse2LETERME, Caroline, 2019. « Familles et enfants mobilisés pour le climat : le (r)éveil d’une citoyenneté active ». Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl) [en ligne]. 3 mars 2019. [Consulté le 23 décembre 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/famillse-et-enfants-mobilises-pour-le-climat/. Après quelques années de perturbations socio-politiques et sanitaires, la société d’aujourd’hui ne semble plus laisser beaucoup de place à ces démarches.
Les épreuves sanitaires débutées en 2020 étouffent les regroupements et les manifestations s’essoufflent. L’engagement pour la nature et le climat par les enfants et les jeunes, pourtant indéniablement lié à leur avenir et celui de l’humanité, semble ne plus être entendu ou considéré comme un enjeu politique majeur.
Greta Thunberg, militante écologiste suédoise engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique, devenue l’égérie des jeunes en 2018, lorsqu’elle lance la grève scolaire pour le climat, n’est plus aussi médiatisée qu’elle l’a été précédemment, alors qu’elle poursuit sa lutte à travers des manifestations jusqu’en 2023 en ce qui concerne la grève scolaire pour le climat.
Plus récemment encore, son arrestation par la police, le cinq octobre 2024, lors d’une manifestation à Bruxelles, semble témoigner d’une volonté des pouvoirs publics de faire taire sa voix et celles des jeunes3Le Soir. 5 octobre 2024. « Greta Thunberg arrêtée lors d’une manifestation à Bruxelles ». [Consulté le 23 décembre 2024]. Disponible à l’adresse : https://www.lesoir.be/627330/article/2024-10-05/greta-thunberg-arretee-lors-dune-manifestation-bruxelles-photos. En outre, rares sont les contenus médiatiques qui considèrent les enfants ou adolescent.es comme acteur.rices clé.es de décisions environnementales qui les concernent au premier ordre.
L’infantisme
Ainsi, les enfants ou les adolescent.es font face à des discriminations, juste parce qu’ils et elles sont des enfants ou des adolescent.es, tout simplement.
Nous avons ainsi collectivement tendance à considérer que leurs vécus, leurs opinions et leurs paroles ont moins d’importance et de valeurs que ceux des adultes. Cette discrimination porte un nom : l’infantisme4BENOIT, Laelia, 2023. Infantisme. Paris, éditions du Seuil..
L’infantisme opère dans tous les champs liés l’enfance ou l’adolescence. Nous évoquons ici les changements climatiques, mais l’infantisme existe par rapport aux questions relatives aux violences faites sur les enfants5L’infantisme lié à l’inceste : FANIEL Annick, ACHEROY, Christine, 2023. L’inceste : l’enfant, la loi, la culture. Changer de regard. Centre d’Expertise et de Ressources pour l’Enfance (CERE asbl). Décembre 2023. Introduction disponible à l’adresse : https://www.cere-asbl.be/publications/linceste-lenfant-la-loi-la-culture-changer-de-regard-etude-2023/, à l’instruction et l’école, à l’éducation de manière générale…
Notons que les discriminations liées à l’infantisme empêchent bien souvent les enfants et les jeunes d’être informé·es par rapport aux questions qui les concernent et d’être acteur·rices de questions citoyennes.
Elles sont donc contraires à la Convention internationale des droits de l’enfant qui garantit, dans son article 17, le droit à la parole et à l’information ; dans son article 12, le droit à la concertation ou à la participation de l’enfant par rapport à des questions qui le concerne.
Leur droit à la participation (Art.12 de la CIDE) et, parallèlement, leur présence dans le champ politique, n’est pas une pratique coutumière en Belgique, ainsi que le souligne le rapport de la Commission des droits de l’enfant. « Les enfants et les adolescents ne sont tolérés que tant qu’ils ne gagnent pas de terrain sur les luttes de pouvoir », écrit à ce sujet Laelia Benoit6BENOIT, 2023, p. 27..
Dès lors, quels sont les changements souhaitables pour améliorer la participation et l’écoute des enfants et des jeunes sur les questions qui les concernent ?
Éduquer les enfants pour les rendre plus robustes
Conception d’un système éducatif robuste
Le biologiste Olivier Hamant est désormais connu pour son concept de robustesse7Olivier Hamant est un chercheur français en biologie et biophysique. Il s’inspire de ses travaux pour prôner un modèle de société qui s’inspire du vivant, et dont les principes soient en conséquence guidés par la recherche de la robustesse plutôt que par celle de la performance.. Il le définit en l’opposant à la performance qui, depuis plusieurs décennies, est associée à la notion de progrès.
Il s’agit d’aller de plus en plus vite, de faire mieux avec moins, d’optimiser, de rationaliser, d’augmenter la productivité et la compétitivité. La performance est donc, selon Olivier Hamant, la somme de l’efficacité et de l’efficience, c’est-à-dire atteindre son objectif avec le moins de moyens possibles.
En contrepoint de cette quête perpétuelle de performance, la notion de robustesse apparaît plus adaptée à un monde instable et aux pénuries de ressources. Car, nous dit Olivier Hamant, sur base de divers rapports et constats, le monde du XXIème siècle sera fluctuant et turbulent.
Une société plus robuste résiste plus longtemps en cas de choc et maintient un niveau plus élevé de réponse aux besoins humains fondamentaux. À la question « comment habiter un monde fluctuant » ?, la robustesse permet de maintenir le système stable malgré les fluctuations.
Il s’agit dès lors pour l’être humain, de gagner en adaptabilité. Travailler la diversité de ses capacités, apprendre à faire soi-même, renforcer les interactions entre les êtres, favoriser la coopération et la complémentarité… Le monde de la robustesse est beaucoup plus riche en interactions.
« C’est aussi notre reconnexion au vivant » précise Olivier Hamant. « Quand on fait de la robustesse, on respecte son corps, on respecte les autres et on respecte les écosystèmes. C’est également une réponse à l’éco-anxiété » dit-il. En ce sens, un système de bienveillance est plus efficace qu’un système concurrentiel.
Un enseignement robuste donnerait aux enfants la capacité de « s’adapter aux défis contemporains, environnementaux et sociaux. Tout en offrant aux élèves les outils nécessaires pour comprendre et affronter les incertitudes du monde.
Une éducation qui ne se contenterait plus de transmettre des savoirs, mais qui permettrait de construire une capacité adaptative face aux crises à venir: «Il ne s’agit pas tant d’enseigner les solutions du développement durable les plus compétitives que de fabriquer un enseignement qui forme des acteurs de la robustesse, par la coopération8HAMANT, Olivier. Extrait de l’entretien réalisé par FILLON, Thimothé, 2024. « Olivier Hamant : vers un enseignement robuste ». La ligue de l’enseignement et de l’éducation permanente [en ligne]. 2 décembre 2024. [Consulté le 15 décembre 2024]. Disponible à l’adresse : https://ligue-enseignement.be/education-enseignement/articles/dossier/olivier-hamant-vers-un-enseignement-robuste».
« L’école de la coopération repose sur trois piliers. Premièrement, la robustesse des savoirs: une pédagogie active et plus hétérogène. Bien que plus lente, ce qui y est appris reste ancré plus durablement. L’élève ne consomme pas un savoir, il le construit. Deuxièmement, la reconnaissance par le collectif: la valorisation ne passe plus par des notes ou des classements. Le culte de la performance individuelle laisse place à la joie de la transmission d’une découverte à ses camarades. Troisièmement, la formation des coopérateurs. Il s’agit de remplacer la compétition et l’individualisme par le travail en équipe, l’entraide et la découverte partagée9HAMANT, Olivier. Extrait de l’entretien réalisé par FILLON, Thimothé, 2024. ».
En conclusion
Notre analyse met en évidence la nécessité d’un changement. Elle montre l’importance de penser le monde fluctuant, tant politiquement que socialement. Il est en effet primordial d’embrasser cette réalité, de la considérer, d’y réagir adéquatement. Faire la publicité d’un kit de survie ne suffit pas.
Il est temps que les politiques publiques s’emparent de ces questions et écoutent véritablement les enfants et les jeunes par rapport à la crise environnementale qu’ils et elles vivent déjà mais recevront en héritage. Les adultes ont la responsabilité de les écouter et de les préparer à vivre dans un monde incertain.
Comme nous l’avions déjà écrit en ce qui concerne l’inceste10FANIEL Annick, ACHEROY, Christine, 2023., sortir de l’infantisme, investir dans le développement des enfants n’a jamais été aussi urgent !
Il est devenu indispensable pour les enfants et les jeunes d’être accompagné·es, informé·es et outillé·es adéquatement pour vivre dans le monde d’aujourd’hui et de demain.