Démocratie à hauteur d’enfants

De Annick Faniel
Bruxelles Laïque asbl

En Belgique, plus de 2,3 millions d’enfants (-18 ans) – soit près de 20 % de la population – n’ont aucun poids dans les décisions collectives qui les concernent. Cette réalité a été au cœur du débat « Démocratie à hauteur d’enfant », co-organisé par Bruxelles Laïque, le CERE et les Ambassadeurs d’expression citoyenne lors du Festival des Libertés en octobre 2025. Notre analyse revient sur les réflexions soulevées par l’essai de Clémentine Beauvais Pour le droit de vote dès la naissance, puis sur les prises de parole du panel réunissant jeunes et adultes. Ensemble, ces voix interrogent la cohérence de nos institutions démocratiques : pourquoi les enfants sont-ils systématiquement exclus des espaces de décision, alors qu’ils en subissent les conséquences au quotidien ?

Cette année 2025, le CERE est sollicité par Bruxelles Laïque1https://bruxelleslaique.softr.app/ pour co-organiser un débat autour de la participation politique des enfants et des jeunes. Ce débat a lieu le 16 octobre 2025 dans le cadre du Festival des Libertés : « Et si les enfants pouvaient voter ? Si la jeunesse était consultée sur les sujets qui la concernent directement ? Impliquer les plus jeunes dans les décisions politiques : une utopie ou une révolution démocratique ? Ce débat propose de repenser les fondements de la citoyenneté en donnant la parole à celles et ceux qu’on entend trop peu. Un panel, composé à parts égales d’adultes et de jeunes, explorera les limites actuelles de la démocratie et les pistes pour grandir ensemble2In https://www.festivaldeslibertes.be/2025/fase6?event=25047&_Debat__Democratie-a-hauteur-denfants-__#25047 ». Il s’agit de questions souvent traitées au CERE, au travers de publications visant à questionner la place de l’enfant dans la société, sa participation, et par là questionner l’infantisme.

Pour rappel, « en Belgique, cette année 2025, on compte 2 320 270 d’individus mineurs. Ces environ 20% de la population belge ne votent pas et n’ont aucune prise sur la décision collective », souligne Alexis Farmakidis, de Bruxelles Laïque. Il s’agit dès lors de questionner cette réalité.

En vue de préparer et nourrir le débat, nous nous sommes replongées dans le manifeste de Clémentine Beauvais « Pour le droit de vote dès la naissance », dont nous avons lu des passages au public. Cette analyse se construit en deux temps : la première partie est composée des réflexions amenées par Clémentine Beauvais et consorts autour du vote et de la participation citoyenne des enfants ; la seconde partie est consacrée au contenu du débat du Festival.

 

Les enfants et les jeunes exclus de la démocratie ?

Le vote, évoque-t-elle, « semble exiger précisément les compétences qui manquent à l’enfant, notamment la capacité à comprendre la complexité d’une situation, à en mesurer les enjeux et les risques3BEAUVAIS, Clémentine, 2024. Pour le droit de vote dès la naissance. Tracts Gallimard. Septembre 2024, p. 8.… ». Je me souviens, par exemple, d’un conseil communal où il était question de demander l’avis des habitant·es à propos de la circulation en ville. L’âge le plus bas pensé pour le questionnaire était de seize ans, l’argument étant que les enfants en-deçà de cet âge « seraient influencés par leurs parents4Réponse de l’échevine Nathalie De Swaef à notre question, au Conseil Communal de Jette en 2022, dont on voit un extrait dans cette vidéo de BX1 : https://bx1.be/categories/news/jette-des-pro-et-anti-good-move-ont-interpelle-le-conseil-communal-dans-le-calme/ ».

Comme nous le soulignons au sein de plusieurs de nos analyses et études, Clémentine Beauvais constate que « l’on se concentre trop souvent sur ce qui fait d’un enfant un moins-qu’adulte, plutôt qu’un égal ou un supérieur. La question des compétences des adultes par rapport à celles des enfants est l’un des socles de l’infantisme, et vient régler son sort, par réflexe, à l’idée du droit de vote dès la naissance5BEAUVAIS, 2024, p. 10. ».

« Cela entraine une exclusion des enfants du suffrage universel et met les régimes démocratiques en incohérence par rapport à leurs propres principes d’égalité6BEAUVAIS, 2024, p. 13. ». Les enfants, continue Clémentine Beauvais, « ne sont donc pas représentés au même titre que les adultes7BEAUVAIS, 2024, p. 13. ». Dès lors, « de l’embryon à l’adolescence, les « mineurs » subissent à chaque instant les conséquences de mesures politiques prises par les adultes. Parfois, ces mesures sont dans leur intérêt. Souvent, non. La plupart des décisions politiques sont prises par des adultes en pensant à d’autres adultes, sans prendre en compte les retombées probables sur les enfants8BEAUVAIS, 2024, p. 17. ».

Ces questions ont été abordées lors du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », organisé par Bruxelles Laïque9Pour en savoir plus : https://bruxelleslaique.softr.app/, en partenariat avec le CERE et Les ambassadeurs d’expression citoyenne10Pour en savoir plus: https://www.ambassadeurs.org/, dans le cadre du festival des Libertés11Pour en savoir plus : https://www.festivaldeslibertes.be/2025/fase6?event=25047&_Debat__Democratie-a-hauteur-denfants-__#25047 . Plus globalement, c’est la participation citoyenne et le statut de mineur qui sont questionnés. Pour la première fois depuis sa création, le Festival invite les jeunes à s’exprimer, « et nous en sommes ravi·es parce que ces occasions sont rares » souligne Amin, représentant des ambassadeurs d’expression citoyenne, assis parmi les invités. Le panel est également composé de Mariam Diallo, (ambassadrice d’expression citoyenne), Amandine Gay, réalisatrice, comédienne, autrice et afroféministe ainsi que de Soleyman Laqdim, Délégué Général aux droits des enfants (DGDE).

Démocratie a hauteur d'enfants

Festival des libertés, 16 ocotbre 2025. Photo: Annick Faniel

 

La participation des enfants

Pourquoi pense-t-on que les enfants ne peuvent pas prendre certaines décisions ? « Pourquoi est-ce qu’on pense que les enfants ne peuvent pas prendre leurs propres décisions, et surtout quand elles les concernent aussi frontalement, comme la façon de s’habiller par exemple ? C’est moi qui porte mes vêtements, c’est moi qui porte mes cheveux. Ou le choix de l’option à l’école par exemple… » précise Mariam Diallo12Mariam Diallo, représentante des ambasseurs d’expression citoyenne. Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés.. Elle ajoute que « les enfants sont parfois considérés comme des objets », ce qu’appuie Soleyman Laqdim, le Délégué Général aux droits des enfants (DGDE), en évoquant la nécessité de mettre en application la Convention Internationale relative aux Droits de l’Enfant (CIDE), ratifiée par la Belgique notamment, qui envisage les enfants non comme des objets de droits mais bien comme des sujets de droits. « La participation, la prise en considération de cette parole, ce n’est pas une faveur qu’on leur fait, c’est un droit qui est contraignant : on doit le faire13Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés. » dit-il. Rappelons que la participation des enfants est un droit inscrit dans la Convention Internationale des droits de l’enfant (CIDE). Cette législation internationale qui énonce les droits fondamentaux des enfants (toute personne entre 0 et18 ans) a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989. La CIDE est ratifiée aujourd’hui par 196 États dont la Belgique.

L’adhésion ou à l’inverse, la non-participation est en soi une forme de participation. Cela correspond déjà à laisser le choix aux enfants ou aux jeunes de dire oui ou non. S’ils estiment qu’ils ont le potentiel d’assumer la situation, il faut les accompagner dans une relation égalitaire, est-il précisé au sein du débat.

Mariam ajoute qu’il est important « de laisser l’occasion aux enfants de s’exprimer, de parler, qu’il faut également leur laisser du temps pour exprimer leurs idées. Ce n’est pas parce qu’un enfant ne parle pas comme l’adulte qu’il n’a rien à dire, que ce qu’il a à dire n’est pas important ». Amin14Amin Ananouch, représentant des ambassadeurs d’expression citoyenne., quant à lui, déplore le manque de prise en compte de la parole des enfants et des jeunes dans les écoles.

Et nous pouvons proposer la participation très tôt dans la vie d’un petit être. Soleyman Laqdim évoque ainsi l’exemple d’une infirmière pédiatrique qui fait de la participation avec des nourrissons. Par ailleurs, le DGDE souligne l’importance de pouvoir se mettre à la hauteur de l’enfant, du ou de la jeune.

Amandine Gay15Amandine Gay est une réalisatrice, comédienne, autrice et afroféministe française née le 16 octobre 1984. Son premier film, Ouvrir la voix est un documentaire donnant la parole aux femmes noires de France. ajoute que « la possibilité d’être reconnu comme un individu, comme un être humain, dès la naissance, devrait aussi faire l’objet d’une réflexion, parce que les enfants sont souvent considérés comme des espèces d’extension des parents et dans les sociétés occidentales, ils sont considérés comme la propriété des parents16Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés. ».

Elle ajoute : « la seule séparation entre les enfants et les adultes, c’est que nous avons des droits civiques. Nous sommes donc les mêmes personnes, hormis le fait que l’on peut voter, on peut faire plein de choses que d’autres ne peuvent pas faire, uniquement à cause de la façon dont la loi est fondée. Voir les choses comme ça, ça changerait drastiquement nos rapports17Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés. ».
 

Quid du « statut de mineur » ?

La notion de protection
Cette réflexion génère une question intéressante relative à la distinction mineur/majeur venue du public : « Le statut de mineur n’est-il pas créé pour protéger les enfants et leur permettre de ne pas se sentir responsabilisés à outrance par rapport à leur vie et leur environnement ? En d’autres termes, quelle est la limite entre responsabiliser l’enfant en tant qu’acteur – capacité d’agir -, et le protéger d’une décision qui est considérée comme trop lourde ou trop compliquée ?18Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés. ». Amandine Gay y répond en posant la question de savoir de quelle protection il s’agit ? « La protection de quoi ? La protection de qui ? Les violences contre les enfants, c’est qui ? Ce sont les adultes. Dès lors, si on luttait contre les violences – sexuelles, psychologiques, physiques et toutes les autres formes de violences – faites aux enfants, ces derniers n’auraient pas besoin d’être protégés. Car en fait les enfants doivent être protégés de nous. C’est nous le danger. C’est nous parce qu’on vote mal, c’est parce qu’on les maltraite, c’est nous parce qu’on ne dit rien. C’est la passivité, la lâcheté, le silence des adultes19Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés. 1h18’ ». Selon elle, il n’y a dès lors pas besoin de distinction mineur·e/majeur·e si les êtres humains et la société prennent leurs responsabilités en ce qui concerne les personnes les plus vulnérables. La question est plus volontiers « qui est en position de pouvoir et en position de délégitimer la personne qui a été violentée ? ». Aussi, conclut-elle en affirmant qu’il n’y a pas de distinction mineur·e/majeur·e parce que l’enjeu se trouve plutôt dans la façon dont on se comporte dans une société, si on se comporte correctement ou non. En cela, elle questionne notre moralité, notre fonctionnement social, la place des enfants au cœur de ce fonctionnement, et propose un critère inédit de distinction entre les individus.

Quid du critère de l’âge ?
Relativement à la distinction mineur/majeur, une autre question du public cible le caractère arbitraire de l’âge pour le droit de vote mais aussi pour distinguer les statuts majeur et mineur. Pourquoi 18 ans ? 21 ans ou 20 ans dans certains pays ? Ou encore : comment garder un traitement juste et équitable dans tous les domaines si on abolit la distinction actuelle entre mineur et majeur et où pose-t-on la limite ?

Ces questions restent ouvertes mais sont néanmoins alimentées par des réflexions collectives. Mariam se demande si la ligne de démarcation à 18 ans représente la fin d’une partie du cursus scolaire et un bagage d’informations lié ? Elle insiste en tout cas sur le fait que l’âge et les distinctions émises sont des constructions sociales et arbitraires. « Vers 12-13 ans, en 1ère secondaire, je me serais sentie prête à voter20Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés. » dit également Mariam. Amin déplore un manque d’outils et d’explications claires et accessibles de la question du vote en Belgique, notamment à l’école. Il existe à ce propos un enjeu de naturalisation de la compétence des adultes souligne Amandine Gay.

Et Souleyman Laqdim (DGDE) de pointer le manque de cohérence en Fédération Wallonie-Bruxelles concernant la détermination de l’âge et la définition d’un jeune. Ainsi, dans l’Aide à la jeunesse, l’âge déterminant pour parler d’un jeune est 18 ans, dans la santé mentale : 23 ans, dans les politiques jeunesses : 30 ans, voire plus. Derrière la question posée, il souligne la question du discernement, qu’il définit ici comme la capacité à comprendre un acte qu’on pose.

« Implicitement, on leur fait porter plein de choses aux enfants » explique Amandine Gay. Ce que Clémentine Beauvais décrit clairement dans son manifeste : « on ferait mieux de les (les enfants) laisser tranquilles à vivre leur petite vie insouciante. Oui, si insouciante, si apolitique, l’existence de ces millions de personnes à qui il est interdit de voter ; apolitique les débuts dans la vie du bébé sans place en crèche, de la fratrie qui ne part pas en vacances, du préado qui ne veut plus manger d’animaux, de la gamine qui rêve de devenir footballeuse, du petit-fils qui va voir son grand-père à l’Ehpad, du cousin qui prend de la Ritaline depuis la maternelle… Apolitique l’enfant racisé, l’enfant avec un handicap, l’enfant pauvre, l’enfant riche, l’enfant en général21BEAUVAIS, 2024, p. 16..
 

Conclusion

Toutes ces questions et réflexions extraites du débat interrogent de manière prégnante la place et la considération de l’enfant dans notre société et plus largement notre façon de faire société. Elles mettent également en exergue la nécessité de changer notre regard et de questionner nos représentations et nos pratiques en tant qu’adultes éducateur·rices.

Et concernant le droit de vote, Clémentine Beauvais souligne : « le droit de vote dès la naissance nous appelle (donc) à changer radicalement notre regard sur la notion d’expertise politique22BEAUVAIS, 2024, p. 17. ». Se basant sur les réflexions de John Wall à ce sujet, elle précise : « Etre un enfant, c’est déjà une forme d’expertise sur le monde. Son occupation des maigres espaces qu’on lui octroie, son rapport à l’argent, aux institutions, à l’administration, au travail, aux apprentissages, aux autres êtres vivants, sa perception du temps passé, qui passe et qui vient sont autant de sources, inaccessibles à l’adulte, de connaissances sur le monde23BEAUVAIS, 2024, p. 18. ».

 

Notes de bas de page
  • 1
    https://bruxelleslaique.softr.app/
  • 2
  • 3
    BEAUVAIS, Clémentine, 2024. Pour le droit de vote dès la naissance. Tracts Gallimard. Septembre 2024, p. 8.
  • 4
    Réponse de l’échevine Nathalie De Swaef à notre question, au Conseil Communal de Jette en 2022, dont on voit un extrait dans cette vidéo de BX1 : https://bx1.be/categories/news/jette-des-pro-et-anti-good-move-ont-interpelle-le-conseil-communal-dans-le-calme/
  • 5
    BEAUVAIS, 2024, p. 10.
  • 6
    BEAUVAIS, 2024, p. 13.
  • 7
    BEAUVAIS, 2024, p. 13.
  • 8
    BEAUVAIS, 2024, p. 17.
  • 9
    Pour en savoir plus : https://bruxelleslaique.softr.app/
  • 10
    Pour en savoir plus: https://www.ambassadeurs.org/
  • 11
  • 12
    Mariam Diallo, représentante des ambasseurs d’expression citoyenne. Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés.
  • 13
    Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés.
  • 14
    Amin Ananouch, représentant des ambassadeurs d’expression citoyenne.
  • 15
    Amandine Gay est une réalisatrice, comédienne, autrice et afroféministe française née le 16 octobre 1984. Son premier film, Ouvrir la voix est un documentaire donnant la parole aux femmes noires de France
  • 16
    Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés.
  • 17
    Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés.
  • 18
    Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés.
  • 19
    Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés. 1h18’ 
  • 20
    Extrait du débat « Démocratie à hauteur d’enfants », 16 octobre, Festival des Libertés.
  • 21
    BEAUVAIS, 2024, p. 16.
  • 22
    BEAUVAIS, 2024, p. 17.
  • 23
    BEAUVAIS, 2024, p. 18.

Date de publication :

19/11/2025

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